C’est quasiment deux ans après l’annonce de l’acquisition par Illumina de la société biotech GRAIL que, le 6 septembre 2022, cette transaction a fait l’objet d’une décision d’interdiction de la Commission. Cette affaire constitue un exemple unique d’examen d’une concentration par la Commission européenne dans une situation où ni celle-ci, ni aucun Etat membre n’était compétent pour exercer un tel contrôle, dans la mesure où les seuils de contrôle pertinents n’avaient pas été franchis. GRAIL n’ayant pas de revenus en Europe, la transaction n’aurait, en principe, pas nécessité d’approbation de la part des autorités nationales ou européennes de concurrence. La Commission a néanmoins contrôlé la transaction à la suite de requêtes exprimées en ce sens par certains Etats membres. Durant l’été, le Tribunal a validé la position de la Commission et a confirmé la compétence de cette dernière pour contrôler la transaction sur le fondement de la « procédure de renvoi de l’article 22 ». Pour en savoir davantage à ce sujet, voyez ici notre article précédent.
Préoccupations quant aux conséquences « verticales » de la transaction
La transaction Illumina/GRAIL constitue l’un des rares exemples de transaction interdite par la Commission européenne sur le fondement d’inquiétudes relatives aux conséquences « verticales » de cette transaction. En effet, GRAIL développe des tests de détection du cancer fondés sur des analyses sanguines, tandis qu’Illumina est un important fournisseur de systèmes d’analyse génétique et génomique. La Commission a estimé que la concentration, en ce qu’elle menait à l’intégration verticale d’Illumina et GRAIL – laquelle est une cliente d’Illumina – influerait négativement sur la position concurrentielle des concurrents de GRAIL, dans la mesure où Illumina pourrait ainsi acquérir le contrôle du marché prometteur des tests de détection du cancer à un stade précoce. La Commission a précisé dans son communiqué de presse que « [l]'acquisition aurait permis à Illumina d'évincer les concurrents de GRAIL, qui dépendent de la technologie d'Illumina, de l'accès à un intrant essentiel dont ils ont besoin pour mettre au point et commercialiser leurs propres tests, et l'aurait incitée à le faire ». La Commission a par ailleurs jugé insuffisantes les mesures correctives proposées par Illumina.
La saga Illumina/GRAIL européenne se déroule, par ailleurs, dans le contexte d’une victoire judiciaire d’Illumina datée du 2 septembre 2022 dans le volet américain de cette affaire, un juge administratif US ayant jugé que l’ « open offer » d’Illumina visant à continuer à fournir tous les clients sur une base non discriminatoire était suffisante pour apaiser les inquiétudes d’éviction de la concurrence exprimées par la US Federal Trade Commission. L’on notera que cette dernière entend apparemment introduire un recours contre cette décision judiciaire, en vue de voir interdire cette transaction.
Gun jumping
Illumina a décidé, en dépit de la procédure d’examen de la transaction ouverte par la Commission, de mettre en œuvre cette opération au cours de l’été 2021. La Commission a considéré que cette mise en œuvre pouvait violer l’obligation de standstill applicable durant les procédures de contrôle des concentrations. Par conséquent, le 29 octobre 2021, la Commission a imposé des mesures provisoires pour rétablir et sauvegarder les conditions d’une concurrence effective et, en parallèle, a ouvert une enquête relative à ces potentielles pratiques de gun jumping mises en œuvre par Illumina. Cette enquête est en cours et pourrait aboutir à l’imposition d’amendes élevées.
Et maintenant ?
La transaction ayant été bloquée par la Commission, Illumina pourrait se voir imposer la cession de GRAIL. Un tel exercice constituerait un défi de taille et pourrait exposer Illumina à des pertes financières importantes. Un tel démantèlement postérieurement à une décision d’interdiction de concentration est très rare, de sorte que tant les parties que la Commission sont confrontées, dans le cadre de cette affaire, à de nombreuses « premières ».
La transaction Illumina/GRAIL couvre une large gamme de sujets d’actualité, susceptibles d’intéresser les négociateurs de transaction et leurs conseils. Les procédures de renvoi sont génératrices d’incertitudes quant à la nature « notifiable » des transactions et quant à l’identification des régulateurs de la concurrence compétents pour les contrôler. Les transactions « verticales », que l’on considère traditionnellement moins problématiques, semblent faire l’objet d’un contrôle accru, et la Commission parait prête à faire usage de tout son arsenal dans ce contexte.
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